La route reste de loin le premier acteur en matière de transport de fret en Europe. Que peuvent espérer les transporteurs ferroviaires ?
C’est vrai, 90% des marchandises transportées en Europe le sont encore par la route. Cela veut dire que les opérateurs ferroviaires traditionnels n’ont pas su répondre à la demande. Les atouts du transport routiers sont connus: les camions vont partout et sont très fiables en termes de délais. Et jusqu’à une distance correspondant à neuf heures de conduite, les tarifs de la route sont compétitifs. Le train dispose d’un avantage pour les volumes transportés et, sur les longues distances, il redevient compétitif par rapport à la route. Reste que, pour convaincre les chargeurs de choisir le transport ferroviaire fret, il faut que le ferroviaire puisse jouer à plein sur les trois critères : la qualité, le prix et la distance. Nous avons l’avantage sur la capacité de volume ; nous tenons la distance en termes de prix ; reste à gagner la bataille de la fiabilité, c’est à dire être en mesure de garantir les délais de livraison.
En quoi les délais sont-ils un problème pour les trains ?
Dans le passé, le transport ferroviaire était assuré par une mosaïque d’opérateurs historiques agissant sans aucune coordination et opérant sur des réseaux techniquement incompatibles. L’interopérabilité mise en place à partir de 2000 a permis de créer des sillons transfrontaliers et d’utiliser les mêmes locomotives sur la totalité des trajets transnationaux. Sur un transport de l’Allemagne à l’Espagne, cela nous a fait gagner 4 à 6 heures. Du coup nos parts de marché face à la route ont cessé de décliner. Mais le problème restait entier, celui de l’absence d’une véritable offre de transport ferroviaire transnational proposée et supervisée par un seul groupe. C’est ce qu’a réalisé DB Schenker Rail, filiale de la Deutsche Bahn et numéro un européen de la logistique. Ainsi, pour les principaux pays d’Europe (France, Belgique, Royaume Uni, Espagne, Italie), une seule entreprise, DB Schenker, coordonne, via ses filiales, les transports transeuropéens. Avec la mise en commun de nos savoir-faire techniques, nous pouvons ainsi optimiser les coûts, améliorer la qualité du service et gagner de la productivité à tous les niveaux. L’avenir du fret ferroviaire passe par le développement de ce type d’offres intégrées.
Et vous en voyez les résultats concrets ?
En 2011, Euro Cargo Rail la filiale française de DB Schenker représente désormais 16% du marché total du transport de marchandises en France. 26% de ses trafics ont été repris sur la route. Et si tous les réseaux ferrés nous permettaient de rouler aussi bien qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni, nous aurions repris en France 40% de trafic. Nos concurrents le font, mais à petite échelle comme Captrain (filiale de la SNCF) en Allemagne ou le belge SNCB logistics avec sa filiale OSR France. Euro Cargo Rail fait rouler 40 trains par semaine selon ce concept intégré. Comme quoi le ferroviaire est bien positionné pour reprendre des parts importantes de marché au transport routier.
D’autant plus qu’il devrait bénéficier dans un avenir proche d’un avantage significatif par rapport à la route, celui de pouvoir offrir à ses clients – et c’est ce que recherchent prioritairement les chargeurs – une visibilité tarifaire à moyen terme. L’autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) dans l’un de ses derniers avis a demandé à RFF de proposer aux opérateurs une tarification pluriannuelle.
Nous représentons donc une solution « durable ». Mais, pour transformer nos atouts en gains décisifs, il va falloir égaliser les performances des différents réseaux européens, notamment en terme de disponibilité des sillons. A cet égard, le réseau français est de moins en moins performant. Et il serait souhaitable que la SNCF et RFF trouvent une méthode de travail en commun susceptible de remettre à niveau la productivité du réseau national.