Les conditions de reprise de l’activité fret ferroviaire

1 décembre 2014 | Actualités du ferroviaire, Fret

En 2011, la Commission européenne exprimait, dans un livre blanc, la vision commune des États membres de l’Union : le fret ferroviaire est l’un des éléments clés d’un système de transport durable. Non seulement, comme un moyen de réduire l’impact environnemental du transport de marchandises, mais aussi comme solution adaptée pour renforcer les liens commerciaux entre les pays de l’Union et l’Asie. Pourtant, l’évolution globale du trafic ferroviaire sur le continent n’a pas, ces dernières années, répondu à ces attentes malgré les efforts des opérateurs. Le début du siècle était pourtant prometteur, puisqu’entre 2000 et 2007, la croissance annuelle moyenne du trafic a été de 1,5 %, passant en sept ans de 420 à 465 milliards de t.km. Mais la crise économique et financière a eu un sévère impact sur l’activité du secteur (- 20 %) que la reprise de 2010-2011 n’a pas totalement effacé.  Encore plus préoccupant, le trafic s’est de nouveau inscrit en léger recul en 2012 et 2013. L’an dernier, son niveau restait ainsi inférieur à celui de l’an 2000 (416 milliards de t.km contre 420).

Les quatre causes de stagnation :

La première cause est le déclin structurel des secteurs industriels traditionnels — acier, charbon, papier, chimie et automobile — qui représentent 65 % de l’activité. Ceux-ci ont été durement affectés par la crise et la plupart, à l’exception de la chimie, n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant crise.

La deuxième est le manque d’investissement dans l’infrastructure ferroviaire. 41 milliards d’euros ont été investis en cofinancements européens dans les infrastructures routières pour seulement 28 milliards dans le rail, affectant ainsi — tout particulièrement en Europe orientale — la qualité et la performance des services ferroviaires. Des goulots d’étranglement subsistent sur les principaux corridors internationaux et l’insuffisante interopérabilité des transports transfrontaliers pèse sévèrement sur les coûts. Résultat : la part modale du rail est passée, entre 2000 et 2010, de 19,7 à 17,1 % du transport européen de marchandises.

Troisième facteur : la hausse relative des coûts du ferroviaire par rapport à la route. Entre 2006 et 2012, les coûts de la route se sont accrus de 9 % alors que ceux du rail augmentaient de 20 %. Les causes en sont évidentes : les péages routiers ont eu tendance à diminuer dans certains pays, du fait de l’amélioration de la performance environnementale des camions, qui bénéficient ainsi de tarifs minorés. À l’inverse, le tarif d’accès aux sillons ferroviaires a augmenté, en Europe, en raison des coûts de modernisation du réseau. Parallèlement, le prix de l’électricité était en hausse pour le rail tandis que celui du diesel diminuait. La modernisation du matériel roulant (locomotives et wagons) a pesé sur les coûts opérationnels alors que, dans le même temps, les transporteurs routiers internationaux connaissaient une baisse de leurs coûts.

Quatrième et dernier facteur : le manque d’attractivité du rail pour les investisseurs privés. La libéralisation du secteur ferroviaire s’est certes traduite par l’entrée sur le marché d’opérateurs privés. Mais en s’engageant dans le ferroviaire, ils ont dû consentir à une augmentation des charges et des coûts fixes — et donc à une réduction des
marges dans un secteur où elles sont déjà limitées.

Vers une Europe à deux vitesses

Cette évolution globalement négative ne doit cependant pas cacher qu’il existe une Europe à deux vitesses. D’un côté, une Europe centrale (Scandinavie, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Suisse, Italie) où la part modale s’est maintenue autour de 17 % entre 2000 et 2012 et où le fret a connu une croissance annuelle moyenne de 1 %. De l’autre, une Europe orientale et une Europe occidentale (Royaume-Uni, Irlande, France, Espagne, Portugal) où la part modale a reculé (de 40 à 28 % en Europe orientale et de 13 à 8 % en Europe occidentale) et le fret ferroviaire décliné, à raison de 1 % par an à l’Est du continent et de 3 % à l’Ouest. Seule exception à cette situation contrastée : le Royaume-Uni, qui a bénéficié d’un processus de libéralisation à la fois précoce et de grande ampleur. Pourtant, selon les experts du secteur, la croissance potentielle du trafic ferroviaire européen de marchandises devrait atteindre en moyenne 1,3 % par an sur la période 2015 à 2020, grâce en particulier à une croissance soutenue (3 à 4 % l’an) du transport combiné, lui-même dynamisé par une accélération du transport maritime international. Mais pour être atteinte, cette croissance potentielle implique que soient remplies plusieurs conditions et mises en oeuvre des stratégies appropriées.

Quel « challenge » pour les opérateurs ferroviaires ?

Il appartient aux opérateurs de fret ferroviaire d’améliorer leur compétitivité en agissant sur trois grands leviers :
La productivité. Son amélioration passe par : des investissements innovants dans le matériel roulant — pour diminuer notamment la consommation énergétique ; la mise en place de trains plus longs et plus lourds ; l’affectation plus rationnelle de personnels dont la formation doit assurer une plus grande polyvalence ; la mise en place de normes modernes d’organisation permettant, entre autres, une plus grande flexibilité du temps de travail.

La qualité du service. Cette productivité suppose le maintien d’un réseau efficace de wagons isolés seul en mesure d’offrir, par sa souplesse, une vraie alternative au transport routier. En s’appuyant sur l’accélération de la mise en place des grands corridors ferroviaires européens (TEN-T), les gestionnaires de réseau doivent offrir des conditions de réservations attractives et fiables et se coordonner davantage pour réduire les goulots d’étranglement. La ponctualité du transport combiné est cruciale et des priorités sont à établir clairement afin de répondre aux besoins spécifiques des chargeurs. Pour favoriser l’adéquation entre l’offre et la demande et simplifier l’ensemble des processus, les technologies de l’information doivent être pleinement exploitées.

L’innovation. Elle passe par le développement de nouveaux produits et services. Face aux médiocres perspectives de croissance des industries traditionnelles, les transporteurs doivent répondre aux besoins de nouveaux secteurs d’activité, ce qui suppose d’adapter les matériels — comme les wagons réfrigérés — et faire en sorte que ces nouveaux clients soient connectés au réseau. Une meilleure coopération avec les pôles d’aménagement des territoires et l’aide des commissionnaires routiers permettraient de mieux identifier les marchandises pouvant être transportées par le rail. En fait, le transporteur ferroviaire doit être à même d’offrir au client un service logistique complet (dépôts, centres de dispatching, interface avec les douanes…).

Le rôle éminent du politique

Sur le plan industriel, les pouvoirs publics doivent soutenir la modernisation de l’infrastructure. Il est stratégique, au niveau national comme européen, que les investissements dans les transports cessent de désavantager le rail par rapport à la route. Une hausse du budget communautaire consacré aux grands réseaux du rail européens devra être ciblée sur le décongestionnement des noeuds ferroviaires et sur le développement de l’interopérabilité. Les gouvernements auront soin de promouvoir l’investissement dans le réseau capillaire afin que le choix modal du rail devienne une option réaliste pour les entreprises moyennes implantées loin des grandes plateformes ferroviaires. Sur le plan économique, tout doit être fait pour renforcer la compétitivité du rail. Il appartient notamment aux pouvoirs publics de veiller à diminuer les coûts de l’énergie, d’encourager les gestionnaires d’infrastructures à mieux maîtriser leurs coûts, de soutenir le reconditionnement des matériels roulants afin d’améliorer leur performance sonore et leur interopérabilité, de réduire les charges qui pèsent sur le rail.
En dernier lieu, l’amélioration du cadre réglementaire est nécessaire pour attirer davantage les investissements privés. Le IVe paquet ferroviaire européen prévoit la montée en puissance de l’Agence ferroviaire européenne (ERA), dont on attend une harmonisation des règles techniques, une accélération des procédures d’autorisation, des processus de décision plus prévisibles et un règlement transparent des différends. Ces avancées auront un impact fort en matière de réduction des coûts. L’ERA, tout comme la Commission européenne, sont appelées par les acteurs du ferroviaire à promouvoir la standardisation des matériels.

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