La réforme ferroviaire assure-t-elle l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure ?
Cette réforme est un meccano institutionnel qui ne répond pas aux trois défis du secteur ferroviaire français : l’efficience, le financement et la concurrence. Sur le plan de l’organisation, l’EPIC de tête (SNCF) et ses 10.000 salariés révèlent que la SNCF a repris les rênes de l’ensemble. Le réseau est sous tutelle. SNCF Réseau n’a plus de stratégie propre. L’erreur de la réforme provient du postulat que les conflits entre le gestionnaire de réseau et l’opérateur peuvent disparaître en les réunissant dans une organisation unique. Mais cela ne règle rien. Les intérêts du réseau et ceux des opérateurs sont souvent opposés. Le résultat est que le réseau est devenu le maillon faible du système comme le révèle la récente dépréciation d’actif de SNCF Réseau (9,6 milliards) dont le passif exigible est aujourd’hui très supérieur à l’actif. L’Etat propriétaire devra donc venir en aide au réseau et reprendre une grande partie de la dette. C’était l’objectif des promoteurs de la réforme : obliger l’Etat à payer. On ne peut qu’être surpris que ce dernier se soit laissé faire ! Que les pouvoirs publics reprennent la dette n’est pas en soi un drame. Le gouvernement allemand l’a fait en 1995 avec les dettes des anciennes Deutsche Bundesbahn et Reichbahn. Mais cela s’est fait avec de fortes contreparties exigées de la nouvelle Deutsche Bahn : création d’une société anonyme, changement de statut des salariés, hausse de la productivité, ouverture à la concurrence. Quelle sera la contrepartie du nécessaire sauvetage de SNCF-Réseau ?
Les règles d’accès au réseau permettent-elles une vraie ouverture à la concurrence ?
L’accès au réseau ferroviaire pour le fret ne pose pas aujourd’hui de problèmes particuliers. Il n’en poserait pas plus pour le transport des voyageurs sur les lignes TER puisque les sillons existent. Mais la question est politique. Les nouveaux entrants potentiels ne sont pas les bienvenus. Dernière illustration en date : celle du secrétaire d’Etat aux transports Alain Vidalies qui propose que l’organisation du transport ferroviaire régional relève des régions et de l’Etat afin que ce dernier puisse brider d’éventuelles tentatives d’ouverture en 2019. Et si l’arrivée de la concurrence devait se produire néanmoins, rien n’est prêt au niveau des éventuels transferts de personnels et de matériels ou des facilités essentielles (gares, dépôts, stations de carburant…).
Comme par hasard, le décret concernant les infrastructures de service n’est toujours pas paru… En ce qui concerne les gares, il n’est pas logique que Gares & Connexions reste dans le giron de l’opérateur SNCF Mobilités. Rappelons que Gares & Connexions est une activité profitable. Quelques grandes gares sont pourvoyeuses de recettes grâce aux redevances payées par les commerces. Mais toutes les autres bénéficient des subventions des collectivités territoriales. Enfin, est-il normal qu’une entreprise publique réalisant plus de 20 milliards de chiffre d’affaires ne dispose pas de comptabilité analytique transparente permettant à l’Etat et aux exécutifs régionaux de connaître les recettes et les coûts de chaque activité ? La faiblesse structurelle de l’Etat actionnaire est le problème majeur du système ferroviaire français.
Le système ferroviaire est-il en mesure de maitriser ses coûts ?
Non dans l’état actuel des choses car la question de la productivité n’a jamais été clairement affichée comme essentielle. Or, sans prendre en compte les retraites ou les dotations à SNCF Réseau, la faible productivité du ferroviaire français coûte cher au contribuable : en 2014, plus de 42 000 euros par an et par salarié (6,4 milliards de subventions pour 150 000 salariés). Une multiplication par 2 en 15 ans ! Les coûts salariaux unitaires ont continué d’augmenter et représentent en France 44% du chiffre d’affaires de la SNCF contre 29% en Allemagne pour la DB. Le résultat est qu’en France les subventions au train-km ont augmenté de près de 80% en 15 ans !
La comparaison avec les pays voisins est édifiante. En Suisse, au début des années 1990, un contrat explicite de productivité a été établi entre les CFF et la Confédération. En 20 ans, le trafic a progressé de 60% alors que les effectifs étaient réduits de 30%, ce qui a entrainé une baisse de subvention au train-kilomètre de 32% de 1999 à 2011. Il en a été de même en Allemagne depuis la réforme de 1994. Mais alors que nos voisins doublaient la productivité du ferroviaire, la SNCF ne l’augmentait que de 26% !
Les négociations actuelles autour du projet de décret-socle, base des futures conventions collectives, ne laissent rien présager de bon. Les propositions du gouvernement ne satisfont pas les syndicats de cheminots qui refusent de voir diminuer leurs jours de repos. Cette négociation devant se clore pendant l’Euro 2016 de football, le gouvernement est en position de faiblesse. Pour les nouveaux opérateurs de fret – dont certains aspirent à entrer sur le marché des voyageurs – le décret-socle conduit à onze jours de repos supplémentaires pour leurs conducteurs, mettant en cause la survie d’entreprises qui ont déjà des marges faibles. Faute d’avoir mis en avant la nécessité des gains de productivité, les pouvoirs publics n’ont désormais plus de cartes en main pour exiger ces contreparties.
Dans ce contexte, la « règle d’or » prévue par la réforme ferroviaire (ratio dette nette/marge opérationnelle de SNCF Réseau limitée à 18) aura bien du mal à s’appliquer. Avec le développement actuel de la dette de SNCF-réseau (42 milliards d’euros à fin 2015) et les dépréciations d’actifs, le défi est intenable. Le contrat de performance entre l’Etat et SNCF-Réseau, qui doit permettre au régulateur ferroviaire de vérifier la « trajectoire financière » du gestionnaire d’infrastructure, se fait attendre, et pour cause. Le prochain président de la République trouvera donc sur son bureau dès mai 2017 un lourd dossier financier à régler.