Table ronde : Libéralisation, ouverture des réseaux, un retour d'expérience.
Dans le cadre du Salon des solutions logistiques SITL 2011 organisé par le groupe Reed, qui s’est tenu à Paris-expo du 29 au 31 mars dernier, l’AFRA (Association française du rail) a organisé une table ronde sur le thème « Libéralisation, ouverture des réseaux : un retour d’expérience ». Animée par Jacques Malécot, délégué général de l’association, elle a réuni le 30 mars en début de matinée six intervenants :
– Jean-Eric Paquet, directeur des Réseaux transeuropéens de transport à la DG Move de la Commission européenne,
– Dominique Riquet, premier vice-président de la Commission Transports du Parlement européen,
– Yanick Paternotte, député, auteur à l’Assemblée nationale de nombreux rapports sur le transport ferroviaire en France et en Europe,
– Joachim Fried, directeur des Affaires européennes à la Deutsche Bahn,
– Alberto Mazzola, directeur des Affaires européennes et des Associations internationales du groupe ferroviaire public italien Ferrovia del Stato,
– Paul Mazataud, directeur adjoint du développement à Réseau Ferré de France.
Les participants ont présenté leur analyse la situation du fret ferroviaire en Europe. Ils se sont notamment interrogés sur l’efficacité du système actuel de régulation de la concurrence avant de proposer un certain nombre de solutions susceptibles de dynamiser l’ensemble du secteur au cours des années à venir.
Pour le site internet de l’AFRA, ils ont enfin répondu à une question complémentaire sur l’avenir du fret ferroviaire en Europe au cours des prochaines années :
A quels changements faut-il s’attendre d’ici à cinq ans dans la situation du fret ferroviaire en Europe ?
Jean-Eric Paquet :
« Pour la Commission européenne, il est urgent de remédier à la fragmentation actuelle des systèmes de fret ferroviaire en Europe et d’encourager une réelle harmonisation en la matière. Comment ? Bruxelles vient de publier un Livre blanc qui est désormais en ligne sur notre site et qui contient un certain nombre de propositions à mettre en œuvre au cours des prochaines décennies. Elles concernent tout d’abord l’architecture du réseau ferré avec la création d’une véritable épine dorsale ferroviaire et de nombreuses plateformes multimodales sur l’ensemble du territoire européen. Autre idée : la mise en place d’un dispositif de massification des flux de marchandises à partir des grands ports maritimes vers le reste de l’Europe. Enfin, les problèmes de financement tels que le montant des investissements d’infrastructure ou le niveau des péages sont également abordés … Dans cette affaire, l’objectif de la Commission est d’aboutir à un transfert de 30 % du trafic routier longue distance (plus de 300 km) vers la voie ferrée en 2030 puis de 50 % en 2050. »
Dominique Riquet :
« Il est essentiel que l’Union européenne se dote rapidement maintenant d’un système efficace de régulation de l’activité ferroviaire dans l’ensemble des Etats-membres. Il doit reposer sur l’existence de deux piliers : un régulateur national dans chacun des pays et un régulateur communautaire unique au niveau européen. Garantes de l’intérêt général sur leur propre territoire, les instances nationales doivent permettre à chacun des acteurs concernés – l’Etat, le gestionnaire d’infrastructure et les entreprises ferroviaires – de jouer pleinement son rôle dans son pays. C’est pour cela qu’une séparation juridique et financière forte entre les gestionnaires de réseau et les exploitants de lignes est indispensable.
Quant au régulateur européen commun, il doit apparaître comme une voie de recours, un médiateur dont la vocation principale serait d’attribuer les sillons internationaux et d’arbitrer les litiges relatifs à l’application du droit communautaire en matière de transport ferroviaire. Pour exercer sa mission dans de bonnes conditions, il faudrait qu’il soit composé de représentants des différentes instances nationales. »
Yanick Paternotte :
« Pour la France, il est indispensable dans un premier temps de rattraper notre déficit d’investissement dans le domaine de l’électrification des lignes accueillant de gros volumes de marchandises et dans la création de grandes gares intermodales de fret. Autre piste à explorer : la mise en place d’un système efficace de ferroutage à partir des ports français en direction du reste de l’Europe.
On pourrait également réfléchir à la création d’un dispositif de transport de fret à grande vitesse. C’est ce que je propose avec le projet Carex qui permettrait d’acheminer au départ de l’aéroport de Roissy, la nuit ou à certaines heures creuses, des marchandises vers les régions françaises ainsi que vers la Grande-Bretagne, le Benelux et l’Allemagne en utilisant le réseau à grande vitesse actuel. »
Joachim Fried :
« En cinq ans, le paysage du fret ferroviaire devrait se modifier considérablement en Europe tant les défis qu’auront à relever les entreprises ferroviaires sont nombreux. A mon sens, ils sont au moins au nombre de six. On devrait tout d’abord assister à une forte évolution de la demande des chargeurs vers davantage de fiabilité, de régularité et de rapidité dans l’acheminement de leurs marchandises. Parallèlement l’offre des entreprises ferroviaires devrait également se modifier avec la création de nouvelles plateformes multimodales et le développement du système des wagons isolés dans toute l’Europe. Autre problème : les nouvelles formes de concurrence qui apparaissent avec l’arrivée des investisseurs privés dans le capital des entreprises de fret et les perspectives liées au développement du transport routier de grande capacité (« les mega-trucks) qui semble aujourd’hui largement soutenu par la Commission de Bruxelles. Enfin, on peut s’attendre à une certaine saturation, à plus ou moins long terme, des grands corridors dédiés au fret ferroviaire en Europe. Si l’on ajoute à cela toutes les contraintes environnementales qui se font de plus en plus pressantes, on comprend qu’il faudra beaucoup d’habileté aux dirigeants des entreprises ferroviaires pour maîtriser une situation qui sera, à l’évidence, de plus en plus complexe. »
Alberto Mazzola :
« Je crois qu’il serait utile de favoriser l’émergence, au niveau européen, d’une autorité de régulation ferroviaire, mais aussi d’une autorité de sécurité ferroviaire à l’image de ce qui a été fait pour le transport aérien avec l’EASA. Ce qui signifie que l’Agence européenne ferroviaire (ERA), qui n’est aujourd’hui qu’une instance consultative, devrait voir ses pouvoirs et ses responsabilités accrues. Il faudrait, selon moi, lui donner compétence pleine et entière pour l’homologation du matériel roulant ainsi que pour la sécurité du réseau à l’échelle de l’Union. En outre, une coordination accrue de l’action des autorités nationales de régulation constituerait une première étape utile. »
Paul Mazataud :
« Il nous semble indispensable d’encourager le développement à terme du fret ferroviaire international dans toute l’Europe. Pour cela, il faut envisager la création d’une dizaine de grands corridors internationaux d’une longueur de l’ordre de 2 000, voire 3 000 kilomètres sur lesquels de véritables entreprises paneuropéennes pourraient intervenir dans des conditions maximum d’interopérabilité. Dans la même logique, il est indispensable de prévoir d’ici à l’horizon 2015-2020 la mise en place d’un système de signalisation et de sécurité commun à l’ensemble de l’Europe ainsi que l’institution d’un gestionnaire unique des grands corridors européens. »