Comment jugez-vous la réforme ferroviaire en cours ?
La question est : que veut-on faire du ferroviaire et comment le sortir de l’impasse où il se trouve en consommant chaque année deux milliards d’euros de richesses de plus qu’il n’en crée ? Il faut impérativement produire plus de richesses sur le réseau. Le fait qu’il soit parcouru par des opérateurs européens est plutôt une bonne nouvelle. La concurrence peut contribuer à l’équilibre du réseau. Encore faut-il une régulation publique forte. À ce titre, le gestionnaire d’infrastructure unifié devient l’acteur central chargé d’intégrer cette nouvelle logique européenne. Son point de vue sera différent de celui de l’opérateur national qui, lui, adossé à sa puissance, a vocation à jouer un rôle européen. La création de deux EPIC « réseau » et « mobilité » distincts est donc pleinement justifiée. Et s’ils ne sont pas toujours d’accord, ils sont condamnés à s’entendre. Mais alors, pourquoi créer un EPIC de tête (la « SNCF ») qui ne fera que reproduire dans son enceinte les éventuels conflits entre les deux EPIC qu’il chapeaute ? Quel rôle resterait à l’État Stratège dont le retour fait l’unanimité ? En ce qui concerne le socle social minimum, il faut naturellement, pour des raisons de sécurité, mettre une barrière au dumping social. Mais il faut laisser des marges de manœuvre aux entreprises et prendre en compte la diversité des métiers : fret à longue distance ou de proximité ou encore de transport voyageurs à grande vitesse ou régional.
Quel avenir voyez-vous pour le transport ferroviaire régional ?
Lancé en 1987, le concept de Transport Express Régional (TER) a séduit les régions qui n’avaient aucune prise sur ce que l’on appelait alors les « omnibus ». Mais ce n’est qu’en 2000 que les régions sont devenues Autorités organisatrices de transports (AOT) et ont acquis la maitrise de leurs dessertes régionales. Outre qu’elle conserve pour l’instant le monopole du transport, la SNCF reste cependant très présente dans la définition et la mise en œuvre des politiques régionales – gestion du parc, cohésion des horaires, outils d’information… La mise en concurrence des TER suppose un important travail de préparation. Pour s’y préparer, les régions doivent renforcer leurs compétences. Il ne faut pas déstabiliser une offre en réseau. La concession éventuelle d’une ou plusieurs lignes risque de se traduire par la disparition de la rentabilité de certaines autres. Je pense que les Régions devraient lancer un audit comparatif avec d’autres pays européens. Elles doivent en particulier affronter la question des coûts, et son lien avec la rotation du matériel. Le pluralisme des opérateurs s’est imposé dans le fret. Il s’imposera pour les voyageurs. Dans le domaine du transport régional, il faudra mettre rapidement en place des groupes de travail et procéder à des expérimentations pour évaluer les bénéfices et les conséquences de l’ouverture. La concurrence pourrait aussi ouvrir des perspectives nouvelles pour les Trains d’équilibre du territoire (TET – Intercités), un secteur qui, entre TGV et TER, n’a pas bénéficié du même dynamisme.
Le développement des OFP en France est-il encourageant ?
Oui, et il est indispensable et urgent. 50% des coûts du fret ferroviaire sont engendrés par les parties terminales du réseau. Et le marché du fret ferroviaire se caractérise de plus en plus par la diversité des chargements et la diminution du nombre de trains lourds qui exigent d’adapter l’offre en la rapprochant des besoins des chargeurs. Il faut pour cela mutualiser les envois : un travail logistique qui suppose un accès aux terminaux et une coopération entre chargeurs, transporteurs (rail et route), logisticiens et commerciaux. C’est cela, un opérateur ferroviaire de proximité : l’appropriation par les acteurs locaux des enjeux ferroviaires d’un territoire. Et beaucoup de matière grise locale. À l’heure actuelle, les OFP ne bénéficient d’aucune aide d’État mais il va falloir les soutenir si l’on veut accélérer le développement du fret ferroviaire. Cela peut passer par la mise à leur disposition de matériel roulant déjà amorti et inutilisé, l’amélioration des procédures d’entretien, des synergies avec le transport combiné, le dépoussiérage des règlements des lignes capillaires devenus obsolètes et qui connectent au ferroviaire des activités telles que les céréales, produits des carrières, bois. Le but est de mettre plus de wagons derrière les locomotives et de maximiser les effets de réseau.