Les représentants de l’industrie ferroviaire, des régions et des usagers des transports ont vivement réagi suite aux annonces faites, le 19 février, par le gouvernement à propos de l’avenir des trains Intercités, ces trains d’équilibre du territoire (TET). Tout particulièrement sur le renouvellement du matériel roulant sur 3 des 22 lignes existantes qui serait soumis à un appel d’offres, ainsi que sur le désengagement financier de l’Etat sur 6 des 8 lignes de trains de nuit. Si la Fédération des industries ferroviaires (FIF) salue la décision de l’Etat d’ « ouvrir certaines lignes de nuit à la concurrence en lançant un appel à manifestation d’intérêt », elle constate avec inquiétude que le montant des investissements dans le matériel roulant (1,5 milliard d’euros) ne soit pas revu à la hausse : « Le montant des investissements annoncé », souligne-t-elle « se situe en deçà même du bas de la fourchette (entre 2,5 et 3,2Md€ d’investissement) des préconisations du rapport Duron». Elle remarque aussi que « les efforts vont porter pour l’essentiel sur les 4 lignes structurantes de jour dont trois soumises à appel d’offres (Paris-Limoges-Toulouse, Paris-Clermont et la Transversale Sud Bordeaux-Toulouse-Marseille, Paris-Caen-Cherbourg est traité séparément), ce qui « sous-entend un taux de renouvellement plus faible pour les autres lignes, notamment celles du Grand Bassin Parisien ». Un tel projet, précise-t-elle, s’inscrit « en décalage avec les ambitions du Grand Paris ».
Les sites industriels français menacés
Concernant la livraison du matériel roulant pour les trois lignes dites structurantes avec un objectif de livraison à partir de 2020, la FIF juge cet objectif « irréaliste compte tenu des délais liés à ce type de procédure plus proches de 6 à 7 ans que de 4 ans ». Ce délai ne sera pas sans conséquence, estime-t-elle, sur la survie de certains sites industriels. « De tels délais auront pour effet de menacer directement la survie de sites industriels français concernés, notamment celui [de l’usine Alstom, NDLR] de Reichshoffen ». Début février, dix sénateurs et sénatrices UDI et LR du grand Est de la France et du sud-ouest ont alerté le secrétaire d’Etat aux transports, Alain Vidalies à ce sujet : « Six sites Alstom-Transport, dont celui de Reichshoffen dans le Bas-Rhin pourraient connaitre des destructions d’emplois si le renouvellement des trains intercités devait être réalisé dans le cadre des appels d’offres et non par l’application des contrats-cadres ». Selon ces derniers, « le recours aux appels d’offres (…) retarderait considérablement les procédures et les sites de production accuseraient alors un « creux » d’activités de près de 18 mois, ce qui aura une incidence très importante pour l’emploi ». La commande de l’Etat de 30 nouvelles rames ne correspond qu’à 9 mois de production. Le trou de production à Reichshoffen est avéré à partir de fin 2018 et ce pour une durée d’au moins 3-4 ans». Au-delà, « les milliers d’emplois de l’ensemble de la ‘supply-chain’ ferroviaire liée à ces sites ainsi que le savoir-faire de toute une filière industrielle d’excellence seront gravement impactés », conclut la fédération des industries ferroviaires.
Autre conséquence : les voyageurs devront attendre plus longtemps pour disposer de nouveaux matériels confortables et sûrs conformes à leurs attentes. La Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) considère en effet que la remise à niveau de seulement trois des lignes dites « structurantes » est insuffisant. « Les autres relations Intercités de jour, radiales et transversales, sont tout aussi indispensables à l’aménagement du territoire : elles doivent elles aussi bénéficier d’un matériel adapté et de qualité», rappelle la Fédération.
De son côté, l’Association des régions de France (ARF) salue les pistes avancées par l’Etat pour le renouvellement des TET qui prévoient notamment la réutilisation des contrats-cadres existants pour les TER, actuellement produits par Alstom et Bombardier. « Cela permet d’apporter des solutions performantes à moindre coût pour la collectivité publique, Etat et Régions, notamment en mutualisant les coûts de développement, d’exploitation et de maintenance des trains », souligne Philippe Richert, Président de l’ARF. Ce dernier s’interroge toutefois sur l’introduction d’un nouveau matériel spécifique pour les lignes où les solutions industrielles proposées seraient jugées insatisfaisantes par l’Etat. Les industriels retenus dans les contrats-cadres existants « disposent de la capacité d’innovation requise pour adapter à moindre coût leur produit pour qu’ils répondent aux exigences techniques et fonctionnelles des futurs matériels roulant des trains Intercités, et ce au bénéfice immédiat de centaines de milliers de voyageurs de ces trains qui verront leurs conditions de transport nettement améliorées », insiste l’ARF dans son dernier communiqué. L’Association souhaite poursuivre la réflexion en organisant des réunions de travail spécifiques entre l’Etat, les Régions et les représentants d’Alstom et de Bombardier. Ainsi, remarque Philippe Richert, « le lancement d’un nouvel appel d’offres coûteux pour les finances publiques et nécessitant un délai de développement de près de trois ans doit être limité aux seuls cas de figure pour lesquels aucune solution actuelle n’est envisageable ».
Trains de nuit : une décision prématurée
Concernant les trains de nuit, les Régions déplorent la décision de l’Etat qui « sans aucune concertation a fait le choix de supprimer la majorité des trains de nuit ». Si les relations Paris-Briançon et Paris-Rodez/Latour de Carol sont maintenues, les 6 autres relations ne seront plus financées par l’Etat (en pratique, par la SNCF) au-delà du 1er juillet 2016. « Les appels à manifestation d’intérêt proposés ne constituent pas une garantie suffisante pour la pérennité de ces services », juge l’ARF. Aussi, les nouveaux exécutifs régionaux demandent-ils à rencontrer au plus vite le Préfet François Philizot dans le cadre de la mission de concertation qui lui a été confiée.
Un « appel à manifestation d’intérêt » pour une exploitation aux risques et périls est lancé aux opérateurs privés, reconnaît la FNAUT, mais il n’apporte aucune garantie de pérennisation de ces relations : « Le délai est trop court, et les nouveaux opérateurs ne pourront pas exploiter aussi des relations de jour afin de mieux équilibrer leurs comptes – alors que le cadre juridique l’autorisait comme pour les relations de nuit », surenchérit la fédération des associations d’usagers des transports. Cette dernière estime en effet que cette décision du gouvernement aura pour conséquence « d’amputer l’offre de nuit ». Or, poursuit-elle, « l’offre actuelle, contrairement aux affirmations du Ministre, répond aux attentes d’une part importante de la clientèle. Celle-ci se reportera bien davantage sur l’autocar ou l’avion que sur le TGV de jour – une aberration écologique ». La FNAUT attend maintenant les décisions sur l’offre de jour qui doivent être annoncées après la remise du rapport du préfet François Philizot.