C’est l’histoire d’un rétablissement spectaculaire. Les premières années (1993-2002) de la privatisation du rail britannique avaient suscité interrogations et critiques en matière de sécurité et de modèle économique. L’avènement, en 2002, d’un nouveau gestionnaire de l’infrastructure, Network Rail (société désormais publique) puis l’extension, en 2006, des compétences du régulateur ORR (1) aux questions de sécurité, ont engendré Outre-Manche un développement du transport ferroviaire de voyageurs et de fret sans équivalent en Europe (2). Une réussite qui traduit également l’engagement des pouvoirs publics dont les financements au secteur du rail ont atteint 53 milliards de livres depuis 2005 contre 20 milliards au cours de chacune des deux décennies précédentes. Les résultats de cette mobilisation sont impressionnants. Selon l’ORR, la fréquentation mesurée en passager.kilomètre a bien plus que doublé (+ 130 %) depuis 1994 et elle a augmenté de 50 % en dix ans, passant de 41,7 à 62,4 milliards de 2004 à 2014. Dans le même temps, l’offre ferroviaire mesurée en train-km s’est accrue d’à peine 20 %, ce qui montre à la fois une forte hausse du coefficient de remplissage et un besoin d’investir dans le matériel roulant et l’extension d’un réseau menacé de congestion (3). Le ministère britannique des Transports (Department for Transport, DFT) en a d’ailleurs pris clairement conscience puisqu’il est de loin le premier investisseur public européen dans le ferroviaire.
Une montée en puissance sur la sécurité
L’amélioration des services ferroviaires est néanmoins constante et l’Eurobaromètre de la Commission européenne publié fin 2013 montre que la satisfaction des usagers britanniques est la meilleure d’Europe en ce qui concerne la fréquence des trains, l’information des voyageurs, l’accessiblité des gares et la facilité de réservation. Cette satisfaction est également élevée en ce qui concerne la ponctualité. Quant à la sécurité, au sujet de laquelle la Grande-Bretagne est encore souvent brocardée en France, elle est désormais l’une des meilleures en Europe. De fait, aucun accident ferroviaire mortel n’est à déplorer depuis 2006 (4).
Un système profitable pour les entreprises et l’État
Autre point fort, le système ferroviaire britannique a trouvé sa cohérence économique. Les opérateurs ferroviaires dégagent des profits, notamment parce que les revenus générés par les passagers ont plus que doublé en termes réels (à 8,2 milliards de livres sterling) en vingt ans. Et cela, sans hausse du prix moyen du billet grâce à une politique de « ticketing » très élaborée : la forte augmentation des tarifs non réglementés visant une clientèle business (1re classe, billets single, aller et retour dans la journée pour les grandes lignes) se trouve compensée par la baisse des tarifs réglementés (transports urbains, cartes d’abonnement, réservations précoces).
Du coup, les opérateurs ferroviaires ne sont globalement plus subventionnés. Depuis 2010, les compagnies ont même transféré en net à l’État 642 millions de livres sterling alors qu’elles en avaient perçu 4 milliards entre 2005 et 2010 (5) . Désormais, l’effort des pouvoirs publics se concentre donc sur le gestionnaire d’infrastructure, Network Rail, entité subventionnée à 68 % par le gouvernement.
Pour financer d’importants investissements de maintenance, de modernisation et d’accroissement des capacités (6,5 milliards de livres sterling en 2014-2015), Network Rail emprunte directement au ministère des Transports après avoir longtemps levé des fonds sur les marchés. Conséquence pour cette entreprise désormais considérée comme publique, un endettement très élevé : 37,8 milliards de livres (environ 48 milliards d’euros), nettement plus que la dette ( 6) de SNCF Réseau (35 milliards d’euros).
Des contrats de franchise avec des conditions d’exploitation précises
Mieux géré, et surtout mieux régulé, le système mis en place dès 1996 donne depuis dix ans la pleine mesure de son efficacité. À côté d’un petit nombre de lignes (0,7 % du réseau) soumises à la concurrence sur le marché en open access (« libre accès de plusieurs opérateurs pour l’exploitation d’une même ligne »), il repose essentiellement (92 % du réseau) sur des contrats de franchise attribuant à des opérateurs des concessions d’une durée très variable (10 ans en moyenne) assorties de conditions d’exploitation précises dont le non-respect entraîne des pénalités. Des lignes très composites dans la mesure où elles peuvent intégrer à la fois du transport urbain ou périurbain, des liaisons intercités et des liaisons régionales.
Pour cette raison, il n’est pas cohérent, pour la Grande-Bretagne, de se focaliser spécifiquement sur le transport régional. Il n’existe d’ailleurs pas, Outre-Manche, d’autorités organisatrices de transport à ce niveau ( 7). On y dénombre actuellement 21 franchises gérées par une dizaine de compagnies ferroviaires organisées ou non en consortium. Les principales sont, dans l’ordre, Abellio (filiale de l’opérateur public néerlandais NS) avec 24 % du marché ; GoVia (contrôlée à 35 % par Keolis, filiale de la SNCF) avec 23,8 % du marché ; Stage Coach avec 22,4 % ; Arriva (filiale à 100 % de la Deutsche Bahn) avec 14,7 % ; First Group, avec 11,8 %.
Du coup, les opérateurs étrangers participent à la gestion des deux tiers du réseau ferroviaire britannique. D’où l’idée des pouvoirs publics d’intensifier la concurrence sur le marché ( 8). Celle-ci est déjà effective sur un certain nombre de lignes accueillant plusieurs opérateurs dans le cadre de leurs franchises respectives que l’on appelle alors « chevauchantes » (« overlapping »). Par exemple, la ligne Londres-Cambridge est exploitée à la fois dans le cadre de la franchise Great Northern et de celle d’Abellio-Greater Anglia.
Une capacité d’adaptation
Dans un rapport récent, le CMA (Competition & Market Authority) préconise toutefois d’aller plus loin. Une première option consisterait à élargir l’offre en open access, ce qui implique, selon l’Autorité, que les opérateurs acceptent de gérer une certaine proportion de lignes non rentables bénéficiant jusque-là du système des franchises. La deuxième option serait d’attribuer des franchises à deux opérateurs. Enfin, le CMA envisage de substituer au système actuel un système de licences assorties d’obligations de service public ( 9).
Ces propositions démontrent la capacité du ferroviaire britannique de se réinventer, même si le système a amplement fait la preuve de son efficacité. Actuellement en cours d’élaboration, le plan transport 2020-2024 ne manquera pas de faire encore évoluer le secteur ferroviaire, notamment dans le domaine de la tarification.
Notes
(1) Office of Rail Regulation, devenu en 2015 Office of Rail and Road après l’extension de ses compétences à la route.
(2,4) Source : Department for Transport.
(3) Source : ORR. Display report 2015.
(5) Source : ORR. GB rail industry financial information 2013-14.
(6) Source : Network Rail annual report 2015.
(7,8,9) Source : Competition & Market Authority (CMA).