La France doit bouger. C’est la conviction de Gilles Savary, député PS de Gironde et membre de la commission du Développement durable de l’Assemblée nationale. Le rapporteur du projet de loi portant réforme ferroviaire de 2014 ne compte plus sur l’Europe pour faire avancer l’Hexagone vers l’ouverture à la concurrence de son transport ferroviaire national et régional de voyageurs. Comme il le rappelait récemment devant l’association Avenir Transports qu’il copréside, rien n’empêche en effet « les pouvoirs publics français de devancer les dates butoirs pour l’ouverture qui vont être fixées par le droit européen ». D’une part, le gouvernement a toute latitude pour modifier les dispositions du Code des transports attribuant à la SNCF l’exploitation des services de transports ferroviaires de personnes sur le réseau ferré national. D’autre part, le règlement européen 1370/2007 posant le principe d’attribution des contrats de service public de transport « par voie de mise en concurrence » doit s’appliquer à partir de décembre 2019. Un délai rapproché qui, selon Gilles Savary, devrait inciter les présidents de Région à « franchir le pas dès à présent en renforçant leurs équipes pour préparer les appels d’offres ». Il est plus que temps : les grands pays ont ouvert leur marché depuis longtemps, 1993 pour le Royaume-Uni, 1994 pour l’Allemagne et 2003 pour l’Italie.
Opinion publique, hommes politiques..les lignes commencent à bouger
D’ores et déjà, les lignes commencent à bouger. D’abord, du côté de l’opinion publique. Comme le montre un sondage publié fin 2015 par Elabe, 79 % des Français considèrent l’ouverture à la concurrence dans le ferroviaire comme « une bonne chose » et 78 % estiment que les Régions devraient pouvoir choisir leurs opérateurs de trains. Côté classe politique ensuite.
Député de la majorité, Philippe Duron a présenté, fin mai 2015, un rapport sur l’avenir des trains interrégionaux (TET) préconisant le lancement d’expérimentations pilotes d’appels d’offres concernant les lignes de nuit. Enfin, le moment est socialement opportun puisque le secteur ferroviaire va se doter d’une convention collective nationale avant le 1er juillet 2016. Un cadre social harmonisé qui est une condition préalable mise par le gouvernement à l’ouverture à la concurrence. Force est de constater que ni cette ouverture, ni même ces expérimentations, ne figurent, à ce stade, dans l’agenda du secrétaire d’État aux Transports Alain Vidalies. Ce dernier a certes lancé un « appel à manifestations d’intérêt » (AMI) concernant les trains de nuit que l’État cessera de financer dès le 1er juillet prochain. Mais l’initiative laisse sceptiques les entreprises concurrentes de la SNCF.
Les experts considèrent qu’un délai de moins de trois mois est insuffisant pour élaborer une proposition. Alain Vidalies n’envisage pas de délégation de service public, ce qui aurait permis de soutenir l’arrivée de nouveaux entrants sur un marché fortement déficitaire dont les activités risquent de disparaître définitivement. Cela ressemble donc à un abandon des trains de nuit. De surcroît, le secteur concurrentiel ne voit guère pourquoi des « AMI » ne seraient pas aussi lancés pour les TET de jour, dès lors que le préfet François Philizot aura remis, en mai prochain, ses propositions en matière de rationalisation complète de l’offre TER et TET.
Trois évolutions plaident pour une ouverture rapide
Trois évolutions plaident pourtant pour une ouverture rapide à la concurrence. Premièrement, les impératifs de réduction de la dépense publique déterminent l’État, en tant qu’autorité organisatrice de transport, à se désengager – à l’exception de deux lignes – du financement des trains de nuit et à réduire son offre de services TET, notamment ceux qui pourraient doublonner avec les TER.
Deuxièmement, ce même État réduit ses dotations aux collectivités territoriales (une baisse globale de 11 milliards d’euros de 2015 à 2017). Au même moment, le gestionnaire d’infrastructure, confronté à un endettement qui continue de croître, a dû différer de deux ans 150 millions d’investissements de rénovation prévus en 2015 et 2016. Conséquence : les Régions devront fatalement se substituer au gestionnaire d’infrastructure pour améliorer et même maintenir l’offre locale. À moins qu’elles puissent le faire à un coût plus attrayant en ayant recours à des opérateurs alternatifs dont la productivité est meilleure et la comptabilité beaucoup plus transparente. En troisième lieu, le paysage du transport de voyageurs se modifie. La nouvelle concurrence intermodale des cars longue distance que la loi Macron vient de libéraliser en autorisant l’ouverture de lignes de plus de 100 km contraint le ferroviaire à réagir en proposant de nouveaux services propres à mieux satisfaire les besoins des voyageurs. Les opérateurs alternatifs ont l’expertise et la réactivité nécessaires pour répondre à ces aspirations.
Une opportunité pour l’opérateur historique
La situation, tant des finances publiques que de SNCF Réseau, ne permet plus de répondre dans des conditions économiquement soutenables aux exigences de service public consistant à rapprocher les territoires et les villes moyennes des grandes agglomérations et à favoriser le développement des activités économiques locales. Les entreprises membres de l’AFRA (Transdev, DB-Arriva, Trenitalia, Thello…) sont prêtes à se mobiliser pour relever ces défis sans attendre que la réglementation européenne oblige la France à ouvrir le marché du transport ferroviaire national et régional. Comme de nombreuses années de concurrence l’ont démontré en Allemagne, Grande-Bretagne et Italie, les usagers ont tout à y gagner en matière de diversification de l’offre, de qualité de service et de sécurité. C’est également, pour la SNCF, une occasion historique de créer, dans le cadre de cette ouverture, les conditions de son renouveau.