Pouvez-vous préciser le contenu des différentes réformes qui ont permis au cours des quinze dernières années une véritable ouverture à la concurrence du transport ferroviaire en Allemagne ?
Au début des années 1990, le transport ferroviaire était menacé de marginalisation dans l’Allemagne tout entière. Depuis plusieurs années, la part de marché du rail ne cessait de décliner tant pour le fret que pour le transport des voyageurs. De plus, la Bundesbahn dans l’ancienne République fédérale et la Reichsbahn dans l’ex-Allemagne de l’Est étaient deux entreprises largement déficitaires dont le fort endettement (33 milliards d’euros à la fin de l’année 1993) constituait un véritable danger pour le budget fédéral. Il fallait donc inverser cette double tendance. Pour cela, le monopole du chemin de fer public a été levé au cours de l’année 1994. Une nouvelle société organisée selon les règles du droit privé, la Deutsche Bahn AG, a été créée à partir des entreprises des deux Allemagne lors de la réunification avec pour objectif de s’imposer sur ce marché ouvert à la concurrence sans aucune restriction. Il a également été décidé que les deux réseaux seraient déchargés de leur dette en échange d’un transfert d’actifs immobiliers et que les fonds publics seraient désormais accordés seulement sur la base de contrats répondant à une nécessité de service public.
Enfin, l’ensemble du dispositif a été placé sous le contrôle de deux autorités administratives indépendantes, l’une pour la régulation et l’autre pour la sécurité. À noter à cet égard que les compétences de gestion de l’infrastructure (c’est-à-dire de ce qu’il est convenu d’appeler les « fonctions essentielles » et notamment l’attribution des sillons) ont été confiées à une filiale de la Deutsche Bahn totalement indépendante des sociétés chargées du transport des marchandises et des voyageurs.
Un autre élément essentiel de la réforme ferroviaire a été la décision de transférer aux Länder – ou plus exactement à 27 autorités organisatrices – le 1er janvier 1996 la responsabilité du trafic régional de proximité des voyageurs. Ces autorités définissent le périmètre du trafic régional nécessaire au maintien du service public dans leur zone de compétence géographique. Elles organisent les appels d’offres et signent les contrats de délégation pour l’exploitation d’une partie ou de l’ensemble de leur réseau avec les entreprises ferroviaires.
Quant au financement de l’infrastructure, il est assuré conjointement par l’État fédéral et par la Deutsche Bahn. Des conventions pluriannuelles précisent la répartition des charges entre les deux partenaires. Grosso modo, le financement des lignes nouvelles et des opérations de renouvellement est partagé entre les deux tandis que l’entretien du réseau existant incombe entièrement à la Deutsche Bahn.
Comment le rapprochement entre les conditions sociales offertes par l’opérateur historique d’une part et par les entreprises concurrentes d’autre part s’est-il précisément effectué ?
Au 1er janvier 1994, l’ensemble des personnels de l’ex Bundesbahn et de l’ex Reichsbahn ont été transférés à la Deutsche Bahn AG. Ce qui représentait un effectif total de l’ordre de 375 000 agents dont 125 000 fonctionnaires. Le nombre d’employés a au fil des ans été progressivement ramené à 180.000 (hors acquisition).
Les conditions de travail au sein de la Deutsche Bahn sont depuis régies par un dispositif dit Alliance pour l’emploi signé en 1996 et plusieurs fois renouvelé. Il prévoit des obligations de flexibilité de la part des employés en termes de temps de travail, de mobilité et de gestion de carrière en contrepartie d’une garantie de l’emploi quasi-absolue. Cela s’applique également aux anciens fonctionnaires qui sont affectés à la Deutsche Bahn aux conditions contractuelles standards. La perte des avantages liés à leur statut est compensée, en partie via le Bundeseisenbahnvermögen, structure publique de défaisance chargée de gérer la dette héritée des deux anciens systèmes ferroviaires.
De leur côté, les nouveaux entrants ont conclu des accords dont les conditions différaient d’environ 20 à 30 % par rapport à celles de l’opérateur historique d’entreprise. Ceci leur a permis de remporter un nombre significatif d’appels d’offres. Les syndicats de cheminots ont alors souhaité engager des négociations avec les principaux opérateurs afin de conclure un accord de branche visant à harmoniser les conditions de travail pour l’ensemble du transport ferroviaire régional de proximité. Un accord a été conclu. Entré en vigueur le 1er février 2011, il fixe quinze ans après l’ouverture effective du marché, des minima sociaux et prévoit que l’écart en valeur des conditions de travail – mesuré sur des critères de salaires, de temps de travail, de compléments de rémunération et de durée des congés – entre DB Regio, la filiale Deutsche Bahn, et ses concurrents ne doit pas excéder 6,25 %. À noter que l’organisation du travail n’entre pas dans le champ de compétence de cet accord qui constitue désormais l’accord de référence pour les appels d’offres à venir.
Quel bilan global peut-on dresser aujourd’hui de cette profonde transformation du système ferroviaire allemand ?
La réforme ferroviaire en Allemagne a été incontestablement couronnée de succès. En permettant aux opérateurs autres que la Deutsche Bahn d’occuper une part de 27 % du marché global dans le fret et de 25 % dans le transport régional de voyageurs, elle a permis au transport ferroviaire dans son ensemble d’accuser une forte progression depuis 1994. De plus, elle a sans aucun doute contribué à l’amélioration des performances de la Deutsche Bahn qui a doublé son chiffre d’affaires (38 milliards d’euros en 2011), rétabli l’équilibre de ses comptes (2,3 milliards d’euros même d’EBIT en 2011) et quadruplé sa productivité au cours des quinze dernières années. Sur le plan régional, les autorités organisatrices de transport ont vu leurs coûts diminuer de 20 à 30 % et le nombre de leurs voyageurs augmenter de 45 %.
Sur le plan social, enfin, il est important de noter que l’activité ferroviaire est actuellement réalisée en Allemagne par un nombre de collaborateurs inférieur de moitié à ce qu’il était en 1994 et que la réduction des postes de travail s’est effectuée sans licenciement, en accord avec les organisations syndicales.