Ville, Rail & Transports. Qu’attendez-vous de la suite des Assises ? Où en êtes-vous sur le fret ?
Alain Thauvette : J’attends des actes.Vendredi 20 janvier, nous avons tenu une table ronde sur le fret ferroviaire avec les représentants des pouvoirs publics, qui faisait suite à celle du 30 mai 2011. Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Ecologie et des Transports, a chargé Daniel Bursaux, directeur général des Infrastructures, des Transports et de la Mer, de réunir rapidement les entreprises ferroviaires et RFF pour régler le problème des sillons. La première réunion a été fixée au 3 février car l’urgence du dossier est reconnue.
VR&T. Quel est précisément le problème des sillons ?
AT. Toujours le même : en raison de fréquents travaux sur le réseau, on n’est pas en mesure d’obtenir facilement des sillons. Quand j’entends dire que 80% des sillons demandés avaient été alloués en septembre 2011, je suis surpris. Colas Rail avait obtenu 15% des sillons annuels demandés et Euro Cargo Rail, un peu plus de 60% seulement. De plus, les 40% restants seront traités en sillons de dernière minute, ce qui demande un effort constant pour notre cellule planification. Tout le monde y met de la bonne volonté mais les entreprises sont obligées de mettre en place des moyens et du personnel supplémentaires, puisqu’elles ne savent qu’à la dernière minute si le sillon leur sera alloué. Il faut donc aboutir à une meilleure coordination entre les plages travaux et les sillons, de façon qu’on puisse circuler, même en mode dégradé. L’AFRA et ses membres ont demandé un guichet unique pour les sillons de dernière minute. Il sera mis en place au premier trimestre.
VR&T. Pourquoi un guichet unique ?
AT. Parce qu’aujourd’hui, les entreprises vont directement au bureau horaire ou à RFF. Chaque entreprise ferroviaire recherche ses propres solutions. C’est le système D. Nous avons tous le même problème, nos membres comme Fret SNCF. En fait, nous ne savons pas vraiment comment les grilles horaires sont élaborées par rapport aux travaux. Cela provient de la séparation entre le GI et le GID.
VR&T. Les Assises vont dans votre sens…
AT. Oui, et nous sommes tous d’accord au sein de l’AFRA pour aboutir au regroupement progressif au sein du gestionnaire d’infrastructure des activités actuellement conduites par Infra SNCF, la DCF, ainsi que par Gares & Connexions.
VR&T. Peut-on progresser en période électorale ?
AT. Tout cela prendra forcément du temps. Il faut donc commencer au plus vite. DCF et RFF vont se rapprocher. Il y a désormais un seul patron pour tous les horairistes, Gilles Cheval, et RFF a annoncé la création d’une task force de 35 horairistes spécialement dédiée au fret pour répondre à la demande. Un groupe de travail entre l’Etat, la SNCF et RFF a été mis en place concernant le transfert des activités d’Infra SNCF vers le GI, et l’AFRA devrait être consultée sur ce sujet dans les prochaines semaines. Ensuite, il faudra traiter la question de la gouvernance du système ferroviaire français : la création ou non d’une holding en France. La décision revient au gouvernement. C’est pourquoi, rien ne se fera maintenant avant l’élection présidentielle.
VR&T. Sur le plan social la SNCF dit que le statut n’est pas un tabou. Quelles évolutions souhaitez-vous ?
AT. Le statut, c’est deux choses : l’emploi à vie et le régime particulier de retraite. Cela relève exclusivement de la SNCF et de l’Etat et ne concerne pas les nouveaux entrants. A ce titre, je n’ai pas d’évolution à souhaiter. La commission présidée par N. Baverez a toutefois montré que le financement de ce statut devenait très difficile.
Ensuite, il y a les conditions de travail. D’un côté le Code du travail, et de l’autre le RH 077, qui définit la façon de travailler à la SNCF. Entre les deux, se trouve la convention collective fret qui a été négociée en accord avec la SNCF et les syndicats, et qui est appliquée par les nouveaux entrants.
Or, aujourd’hui, le gouvernement évoque l’idée d’un cadre social harmonisé. À quoi cela s’applique-t-il ? À mon sens, il ne peut être question que des conditions de travail. Et dans ce cas, il n’est pas possible d’appliquer au secteur celles découlant du RH 077. Je prends un exemple : le nombre de découchés. A ses débuts, une entreprise qui couvre par son activité l’ensemble de la France, n’a pas de relais sur tout le territoire. Elle a forcément recours à la règle du découché. C’est pourquoi, la convention collective fret autorise les nouveaux entrants, après signature d’un accord d’entreprise, d’avoir recours jusqu’à trois découchés par déplacement. Ce n’est qu’avec la mise en place de nouvelles agences, et l’amélioration du maillage du territoire que le nombre de repos hors résidence peut être réduit. Autre exemple, les salaires. En Allemagne, dans le transport voyageur, on note qu’après quinze années de concurrence, les salaires se sont rapprochés entre les rémunérations de la DB et les nouveaux entrants.
En France, si les nouveaux entrants débutaient leur activité en appliquant d’emblée les conditions de la SNCF, le handicap serait insurmontable. Il faut donc procéder par étapes. Il faut laisser une chance au marché de s’ouvrir.
Enfin, je souhaite couper court à l’idée que les conditions de travail des nouveaux entrants puissent nuire à la sécurité : la sécurité ne s’est pas dégradée car nous appliquons bien entendu, tous, les mêmes règlements sous le contrôle de l’EPSF.
VR&T. Que répondez-vous à l’accusation de dumping social ?
AT. J’ai eu un jour une réunion avec les syndicalistes français et je leur ai demandé : « C’est quoi le dumping social ? » Ils m’ont répondu : «Il vous faut deux employés pour faire un travail quand il nous en faut cinq. C’est cela, le dumping. Vous ne créez donc pas suffisamment d’emploi ». Je ne partage pas cette définition. Fin 2011, les nouveaux entrants totalisaient 1364 emplois alors qu’on en comptait que 1154 fin 2010, soit une augmentation de 18%. Dans le même temps, le nombre de nos locomotives a augmenté de 19% et notre chiffre d’affaires de 46%.
Comment y sommes-nous parvenus malgré la crise économique ? C’est grâce à notre compétitivité. Elle vient de la polyvalence des agents. Pas des rémunérations : le salaire fixe est plus élevé chez nous, mais la SNCF offre des primes plus importantes. La majorité de nos employés ont moins de cinq ans de service. Ils ont pourtant un salaire de base plus élevé car ils commencent directement sur voie principale. Ce qui fait vraiment la différence, c’est qu’un conducteur chez les nouveaux entrants est aussi habilité à exercer des activités au sol dans une gare de triage. Les nouveaux entrants embauchent des agents de manœuvre lorsqu’ils peuvent être occupés 7 heures par jour.
VR&T. Le bilan du fret depuis l’ouverture à la concurrence n’est, pour la SNCF, pas concluant. Qu’en pensez-vous ?
AT. L’ouverture à la concurrence est un succès. L’effondrement de l’activité fret à la SNCF n’est pas le fait des nouveaux entrants. En 2010, alors que le transport de marchandises par rail s’est contracté de 9,2 % en France, l’activité fret des nouveaux entrants a augmenté de 19,2 %
D’un côté, la SNCF nous reproche de leur avoir trop pris de trafic et de l’autre de n’en avoir pas pris assez pour inverser la tendance. Les nouveaux entrants ont ramené sur le rail des trafics routiers. 25 % à 50 % des nouveaux trafics d’ECR et d’Europorte en 2010 ont été pris sur la route. A noter aussi que Fret SNCF reprend du trafic aux nouveaux entrants. Bref, la concurrence devient effective.
VR&T. Les nouveaux entrants travaillent-ils à perte ?
AT. Europorte, doit atteindre l’équilibre en 2013, et ECR en est proche, à 1% près de son chiffre d’affaires.
VR&T. La concurrence dans le trafic de voyageurs devra vraiment commencer avec les TET. Qu’en pensez vous ?
AT. Selon le CSA, 70% des français sont favorables à l’ouverture à la concurrence du voyageur en France. Les français attendent de cette évolution que cette ouverture apporte un vrai service aux voyageurs : fiabilité, régularité, sécurité, confort, propreté, information.
En tant que nouvel entrant nous souhaitons mettre un terme à la politique d’attrition des trains d’équilibre du territoire (TET) en répondant au juste prix aux cahiers des charges que l’Etat élabore, tout en déployant des arguments sur les coûts, la qualité, les services, la transparence, l’intermodalité.
Avec un management de proximité que nous mettrons en place, nous saurons convaincre l’Etat de la nécessité de ne pas retarder cette ouverture qui sera bénéfique aux clients, à l’industrie du ferroviaire, aux cheminots et à l’opérateur historique.
VR&T. Et pour la grande vitesse ?
AT. Dans un contexte de crise, il n’est pas souhaitable que les clients continuent à se tourner vers d’autres modes de transport. Il est nécessaire de revoir les processus, les organisations de manière à donner plus de cohérence au juste prix. Le secteur ferroviaire évolue. L’ouverture à la concurrence de la grande vitesse est dans l’ordre des choses.