Propositions d’amendements au projet de loi portant réforme ferroviaire

14 mai 2014 | Actualités du ferroviaire

Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche a présenté le 16 octobre 2013 un projet de loi portant réforme du ferroviaire. Ce texte propose de créer « un groupe industriel public intégré réunissant le transporteur et la  gestion de l’infrastructure avec un pilotage commun des synergies industrielles ».

Chargée d’organiser la réflexion des entreprises du secteur, de les défendre et de les représenter auprès des pouvoirs publics, l’Association française du rail (AFRA) propose au législateur des amendements destinés à rendre « plus efficace » et plus transparente la nouvelle organisation du système ferroviaire français dans un cadre concurrentiel et régulé.

Quelles sont les priorités de l’AFRA ?

1. Le respect de l’indépendance de gestion des fonctions essentielles au sein de SNCF Réseau.
2. Le renforcement des pouvoirs de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires.
3. L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.
4. La précision dans la loi des règles applicables aux infrastructures de service.
5. La prise en charge par SNCF Réseau de l’ensemble des infrastructures de services autres que les gares de voyageurs.
6. La création d’un gestionnaire d’infrastructure des gares indépendant.
7. L’application du droit européen dans le projet de réforme ferroviaire avant son entrée en vigueur en juin 2015 (directive 2012/34/UE).

 

1. Le respect de l’indépendance de gestion des fonctions essentielles par SNCF Réseau

Les exigences communautaires n’interdisent pas un schéma de gouvernance fondé sur un pôle unifié à condition que certains aménagements soient apportés. L’accès transparent et non discriminatoire de tous les opérateurs ferroviaires au réseau, exige, conformément au droit de l’Union européenne, que les fonctions essentielles, c’est-à-dire la répartition et la tarification des sillons, soient exercées dans des conditions garantissant l’indépendance juridique, organisationnelle et décisionnelle du gestionnaire d’infrastructure. A ce titre, il est proposé de veiller à ce que :
– l’indépendance de gestion des fonctions essentielles par SNCF Réseau vis-à-vis de l’Etat et de l’EPIC de tête SNCF soit assurée ;
– SNCF Réseau soit indépendant des autres EPIC du pôle public unifié du point de vue organisationnel et décisionnel ;
– le conseil d’administration de SNCF Réseau statue par un vote, en formation restreinte, sans représentant de l’EPIC de tête, sur les questions touchant aux fonctions essentielles ;
– le cumul d’activité des personnels de SNCF Réseau gérant des fonctions essentielles soit interdit ;
– un contrôle de l’ARAF soit exercé sur l’indépendance de gestion des fonctions essentielles au sein de SNCF Réseau.
 
Ces amendements  permettront de :
– garantir l’accès équitable et non discriminatoire des EF au réseau ;
– limiter l’influence de l’EPIC de tête SNCF, dirigé par le président de SNCF Mobilités, et de l’Etat sur les décisions de SNCF Réseau pour les fonctions essentielles.

 

2. Le renforcement de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF)

Le renforcement de l’ARAF est rendu nécessaire par la réforme ferroviaire qui annonce un rapprochement significatif de la gestion de l’infrastructure ferroviaire et de l’exploitation par le rattachement de SNCF Réseau à la SNCF au sein d’un pôle public ferroviaire. Le renforcement du régulateur sectoriel est également rendu nécessaire par la directive 2012/34/UE.
 
– Le renforcement des pouvoirs de l’ARAF

A ce titre, au travers des amendements, l’AFRA propose de rétablir l’avis conforme de l’ARAF sur la tarification des sillons et de l’étendre à l’ensemble des infrastructures de service y compris les gares de voyageurs.

En complément, l’ARAF doit également rendre un avis conforme sur l’ensemble des composants de l’accès au réseau (DRR et DRG) et sur le contrat de performance Etat-SNCF Réseau qui encadrera l’action du gestionnaire d’infrastructure notamment sur l’évolution de la tarification de SNCF Réseau. Cette pratique est courante en France dans le secteur des télécommunications ou encore en Grande-Bretagne, où le régulateur ferroviaire, l’ORR, fixe par période de cinq ans la trajectoire de productivité et le niveau des tarifs d’accès du gestionnaire d’infrastructure, Network Rail.
 
– Le renforcement de l’indépendance de l’ARAF
 
L’ARAF doit être à la seule autorité compétente pour délivrer les autorisations de cabotage. Aussi, il est proposé de supprimer la tutelle du Ministère des Transports sur ces autorisations afin de ne pas entraver le développement du marché international de voyageurs. Ce point, prévu par un décret du 24 août 2010, est non conforme à la règlementation européenne.
 
Afin d’éviter toute critique de l’indépendance de l’ARAF vis-à-vis de l’Etat, il est proposé de supprimer les dispositions relatives à l’introduction d’un commissaire du gouvernement auprès du régulateur. Ces dispositions sont contraires à l’article 55 paragraphe 3 de la directive 2012/34/UE qui dispose que les autorités de régulation ferroviaire « ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement ou autre entité publique ou privée dans l'exercice des fonctions de l'organisme de contrôle ».
 
Enfin, le projet de loi prévoit la procédure d’engagement des poursuites et d’instruction préalable au prononcé des sanctions par un rapporteur public nommé par le ministre chargé des transports afin de se conformer à la décision QPC n° 2013-331 du Conseil Constitutionnel du 5 juillet 2013, qui exige la stricte séparation des fonctions d’instruction et de sanction dans les autorités administratives indépendantes. Il est proposé de supprimer ce rapporteur public car une telle procédure ne répond pas aux exigences d’indépendance de l’ARAF vis-à-vis de l’Etat.
 
Afin de se conformer à la décision du Conseil Constitutionnel, il est proposé de créer une Commission des sanctions au sein de l’ARAF, composée de magistrats. Cette forme d’organisation est déjà pratiquée par de nombreuses autorités administratives indépendantes, notamment l’AMF (Autorité des marchés financiers) et l’ARJEL (Autorité de régulation des jeux en ligne). Elle permet d’éviter toute critique de la procédure de sanction au regard du respect des principes d’impartialité et d’indépendance. Le règlement des différends, au même titre que la médiation, relève pour l’AFRA du Collège composé de membres salariés. 

 

3. L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs

Concernant l’exploitation des services publics conventionnés, Trains Express Régionaux (TER) et Trains d’Equilibre du Territoire (TET), les Etats membres de l’Union européenne ont adopté en 2007 le règlement « Obligations de service public » (OSP) pour permettre aux autorités organisatrices de transports (AOT) de choisir librement le mode d’attribution de leur contrat de service public. Ainsi, plusieurs possibilités sont offertes aux AOT pour l’exploitation de leurs services publics de transports :
– la mise en concurrence prévue à l’article 5 paragraphe 3 du règlement, principe fondateur du règlement OSP ;
– la régie prévue à l’article 5 paragraphe 2 du règlement ;
– le recours à un opérateur interne, prévu à l’article 5 paragraphe 2, plus communément appelé en droit administratif français contrats  « in house », contrats de quasi-régie ou encore contrats de prestations intégrées ;
– l’attribution directe prévue aux paragraphes 4 et 5 de l’article 5 du règlement, en cas de contrat de faible montant et en cas d’urgence. L’article 5 paragraphe 6 du règlement OSP permet également aux AOT de recourir aux attributions directes, dès lors que le droit national ne s’y oppose pas.

Sur le fondement de cet article, dans son manifeste du 11 mars 2014, l’Association des Régions de France a demandé :
– la mise en conformité du droit français avec le règlement OSP ;
– le choix pour les régions d’avoir recours au mode d’attribution qu’elles souhaitent ;
– la possibilité d’une ouverture à la concurrence d’ici à 2019.
 
En conséquence, il est proposé d’introduire en droit français cette liberté de choix des autorités organisatrices de transport dans la logique du règlement OSP et de modifier les dispositions du Code des Transports relatives aux services d’intérêt national (article L2121-1 du Code des Transports), aux services d’intérêt régional (article L2121-4 du Code des Transports)  et aux missions de l’opérateur historique (L2141-1 du Code des Transports) pour permettre aux autorités organisatrices de choisir le mode de contractualisation le plus opportun.
 
Cette introduction des dispositions du règlement OSP en droit français est une exigence européenne qui s’impose à l’Etat français. En effet, en vertu du principe de l’applicabilité directe, le règlement OSP produit dès son entrée en vigueur ses effets dans l’ordre juridique interne sans qu’il soit besoin d’aucune mesure de transposition en droit français. Le règlement est également d’effet direct, ce qui signifie que depuis le 3 décembre 2009, le règlement OSP s’impose à la fois à l’Etat et à toutes personnes publiques ou privées directement ou indirectement concernées par son application.   
 
Néanmoins, l’Etat Français est dans l’obligation de prendre des mesures destinées à en faciliter l’application depuis l’entrée en vigueur du règlement OSP le 3 décembre 2009. Afin de vérifier l’effectivité des mesures prises durant la période de transition (2009-2019), les Etats membres doivent fournir, en juin 2015 à la Commission Européenne, un rapport d’avancement faisant état de l’attribution progressive des contrats de service public, conformément aux principes de mise en concurrence définis à l’article 5 du règlement OSP.

 

4. Précision dans la loi des règles applicables aux infrastructures de service

Ces amendements reposent en grande partie sur la transposition du RECAST et permettront de limiter les entraves à l’accès aux infrastructures de service qui font l’objet de nombreux contentieux devant l’ARAF. A l’heure actuelle, le Code des Transports ne régit pas suffisamment le régime juridique des infrastructures de service.
 
L’AFRA se prononce en faveur de la précision dans la loi des règles applicables à l’accès et à la tarification des infrastructures de service. L’AFRA demande à ce que les demandes d’accès aux infrastructures de service soient traitées dans un délai raisonnable fixé par le régulateur. Les principes de pertinence et de justification des coûts doivent également être inscrits dans la législation, de façon à exclure toute facturation sans lien avec la prestation rendue.

 

5. La prise en charge par SNCF Réseau de l’ensemble des infrastructures de services autres que les gares de voyageurs
 
Il appartient au gestionnaire d’infrastructure unique, au-delà des sillons, de prendre en charge les infrastructures de service dont il est propriétaire. Cette compétence élargie de SNCF Réseau devrait être clarifiée dans la loi.  En effet, l’accès à ces infrastructures de service est indispensable à l’activité d’une EF sur les marchés de transport ferroviaire. Un accès discriminatoire à ces infrastructures peut aussi  entrainer des perturbations durables de la concurrence.
La prise en charge de la gestion des infrastructures de service présentant le caractère de facilités essentielles (cf. note en bas de page) par SNCF Réseau permettra de :
s’inscrire dans la logique d’intégration industrielle qui sous-tend le projet de loi. SNCF Réseau doit être un véritable guichet unique pour des demandes de capacités des EF, des sillons jusqu’aux services rendus en gare de fret.
renforcer la transparence du système ferroviaire : SNCF Réseau sera responsable de l’ensemble du processus conformément à l’article 27 paragraphe 2 de la directive 2012/34/UE. Elle permettra ainsi de mettre fin au morcellement des responsabilités entre les gestionnaires d’infrastructure de service (RFF et SNCF) autres que le gestionnaire des gares de voyageurs.
garantir un accès non discriminatoire à ces infrastructures.

Dans cette logique, il est proposé de transférer à SNCF Réseau des infrastructures dont la liste exhaustive est fixée à l’annexe II point 2 de la directive 2012/34/UE. Les infrastructures de service indispensables au développement des activités des EF alternatives doivent être prioritairement transférées à SNCF Réseau sous le contrôle de l’ARAF : les terminaux de marchandises, les gares de triage et les gares de formation ainsi que les infrastructures de ravitaillement en combustible.

Pour la Deutsche Bahn et Ferrovie dello Stato, le point essentiel c’est que toutes les infrastructures étant des facilités essentielles, elles doivent être soumises au contrôle du régulateur ferroviaire. Ce qu'il faut, c’est un bon régime de régulation, une transparence financière et un régulateur fort et indépendant conformément aux exigences posées par la directive 2012/34/UE. La question de la propriété des infrastructures n'est pas déterminante. En principe, elle ne devrait faire aucune différence si dans l'avenir des ateliers de maintenance, des halles ou des terminaux sont gérés par SNCF Réseau ou une autre entreprise du groupe.

6. La création d’un gestionnaire d’infrastructure des gares indépendant

Les gares de voyageurs revêtent les caractéristiques d’infrastructures essentielles, non seulement en ce qui concerne leurs quais mais également leurs fonctions d’information et d’orientation des voyageurs, de vente de titres de transport et de développement de l’intermodalité.
 
Le maintien des gares au sein de l’opérateur de transport est susceptible d’entraver le développement effectif de la concurrence dans le secteur ferroviaire mais aussi sur d’autres marchés connexes. A ce titre, il est proposé de supprimer la compétence de SNCF Mobilités en matière de gestion des gares de voyageurs.

Les gares de voyageurs doivent être transférées vers un EPIC indépendant «  Gares & Connexions »  en vue de garantir de façon plus effective l’indépendance du gestionnaire des gares ainsi constitué. Surtout, il n’existe aucun obstacle technique au transfert des gares de voyageurs. D’autres gestionnaires d’infrastructures ferroviaires européens comme le gestionnaire d’infrastructure allemand (DB Station & Service) ou dans d’autres secteurs des transports , comme dans le secteur aérien avec Aéroports de Paris, disposent d’un tel périmètre d’activité et savent gérer, de façon satisfaisante, ces infrastructures.

7. L’application du droit européen dans le projet de réforme ferroviaire avant son entrée en vigueur en juin 2015

La directive Refonte (Recast) 2012/34/UE précise le cadre légal régissant l’activité ferroviaire en Europe. Cette directive doit être retranscrite dans le droit français au plus tard en juin 2015. L’AFRA souhaite son application immédiate dans le projet de loi portant réforme ferroviaire. Les investissements dans le ferroviaire nécessitent un cadre juridique et législatif stable.

14 mai 2014

Notes

L’article 13 de la directive 2012/34/UE renvoie à son annexe II point 2 qui détaille l’ensemble des infrastructures de services : « L'accès, y compris l'accès aux voies, est fourni aux installations de service suivantes, lorsqu'elles existent, et aux services offerts dans ces installations :
a) les gares de voyageurs, leurs bâtiments et les autres infrastructures, y compris l'affichage d'informations sur les voyages et les emplacements convenables prévus pour les services de billetterie;
b) les terminaux de marchandises;
c) les gares de triage et les gares de formation, y compris les gares de manœuvre;
d) les voies de garage;
e) les installations d'entretien, à l'exception de celles affectées à des services de maintenance lourde et qui sont réservées aux trains à grande vitesse ou à d'autres types de matériel roulant nécessitant des installations spécifiques;
f) les autres infrastructures techniques, y compris les installations de nettoyage et de lavage;
g) les infrastructures portuaires maritimes et intérieures liées à des activités ferroviaires;
h) les infrastructures d'assistance;
i) les infrastructures de ravitaillement en combustible et la fourniture du combustible dans ces infrastructures, dont les redevances sont indiquées séparément sur les factures. »
 

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