Pierre Cardo, Président de l’ARAFER

1 mars 2016 | Actualités du ferroviaire

Quels sont les enjeux et les moyens de la nouvelle ARAFER ?

Face à des opérateurs, comme la SNCF, qui s’inscrivent dans une logique multimodale depuis plusieurs années, la compétence nouvelle du régulateur en matière de liaisons interurbaines par autocar était logique. Avant la création de ce nouveau marché, les services de transport interrégional par autocar ne pouvaient être mis en place que dans le cadre d’un service conventionné ou dans le cadre du cabotage qui permet aux transports internationaux de voyageur de fournir, sous certaines limites, un service national sur la ligne.

L’Autorité de la concurrence avait préconisé la création de ce marché de transport interurbain et de confier à un régulateur le soin de veiller à son contrôle. La loi MACRON a permis de réaliser cette nouvelle offre de transport. Depuis l’application de cette loi, les opérateurs doivent désormais envoyer une demande à l’ARAFER qui la publie sur son site. Les régions ou toute autre autorité organisatrice de transport conventionné ont alors deux mois pour interpeller le régulateur de leur projet d’interdiction ou de limitation du service, pour les liaisons de moins de 100 kilomètres entre deux arrêts. Aujourd’hui, nous avons reçu une quinzaine de recours d’autorités organisatrices de transport. L’autocar se pose à la fois comme un concurrent et un complément du train. Dans le premier cas, il peut y avoir une baisse de trafic ferroviaire, il nous appartient d’examiner chaque situation qui nous est soumise. Le secteur ferroviaire aurait été peut-être mieux armé s’il avait été ouvert à la concurrence avant le marché de l’autocar. Or, nous sommes dans un pays où la tendance semble être de retarder le plus longtemps possible cette échéance. C’est, à mon sens, une mauvaise tactique car plus on se protège, plus on est vulnérable quoiqu’il en soit. L’arrivée de l’autocar a quand même l’avantage de laisser entrevoir une hausse de la mobilité en France pour beaucoup de citoyens qui en sont éloignés voire exclus. Cette nouvelle donne va favoriser l’amélioration de l’offre de services.

Quel bilan peut-on faire un an après l’entrée en vigueur de la réforme ferroviaire ?

Depuis la loi du 4 août portant réforme ferroviaire, SNCF Réseau et SNCF Infra avec la direction de la circulation ferroviaire sont regroupés. Ce qui est appréciable puisque cette nouvelle organisation doit permettre un meilleur dialogue entre eux et une économie de structure. Nous avons en revanche exprimé des craintes sur le rôle de l’Epic de tête. Le régulateur doit s’assurer de l’indépendance de la gestion des prestations ferroviaires (attribution des sillons, tarification, accès au réseau) par SNCF Réseau. Aujourd’hui la muraille de Chine ressemble plus à une cloison japonaise. Mais tant qu’il n’y a pas de plainte de la part d’autres opérateurs quant à une discrimination on peut considérer que le système est étanche.

Force est de constater que « la règle d’or », qui implique l’équilibre financier de tout nouvel investissement de SNCF Réseau, n’est pas mise en œuvre à ce jour, en l’absence de son décret d’application. Elle implique que pour investir, Réseau doit compter sur l’intervention de l’Etat ou des régions, voire d’un opérateur privé comme ADP dans le projet CDG Express. Sur ce dernier projet, nous avons rendu un avis favorable tout en émettant de sérieuses réserves quant à la participation financière du gestionnaire d’infrastructure. Selon la loi, la contribution financière de l’Etat est nécessaire sinon, un tel montage financier ne ferait qu’aggraver les dettes de SNCF Réseau. Ce dernier, en dépit de la réforme ferroviaire, sert toujours de banque à l‘Etat. Le ratio entre la dette et la marge opérationnelle a été fixé à 18 par la loi. En 2015, ce ratio était déjà dépassé avec une valeur atteignant le chiffre de 22, ce dérapage n’est pas de nature à contribuer à enrayer la dette. J’ajouterai que l’on est toujours en attente du contrat de performance entre l’Etat et SNCF Réseau, difficile pour le régulateur, dans ces conditions, de contrôler la trajectoire financière. Seul le Parlement peut se saisir de ce problème pour contraindre l’Etat à appliquer la loi. Or, depuis la réforme du 4 août, l’Etat cherche à contourner la loi. On voit s’accumuler les promesses pour la réalisation de certaines lignes ferroviaires à l’instar de Limoges-Poitiers, Bordeaux -Toulouse ou Bordeaux-Dax. Qui va payer ? Le système ferroviaire est aujourd’hui dans une impasse financière. Avec une dette s’élevant à quelque 40 milliards d’euros aujourd’hui, SNCF Réseau va devoir encore augmenter les péages au détriment des intérêts des voyageurs, des autorités organisatrices de transport et des activités les plus fragiles : le fret.

Dans quel contexte s’exerce désormais la régulation ferroviaire ?

Le 4ème paquet ferroviaire dans sa dernière version a considérablement évolué. Certains pays défendent de nombreuses règles d’exception pour empêcher l’ouverture à la concurrence. Elle sera possible dès 2019 mais il sera aussi possible pour les États de retarder l’ouverture à la concurrence jusqu’en 2026. La région ne pourra pas lancer un nouvel appel d’offres. Il lui suffira de reconduire la convention existante. De plus, l’Etat français, souhaite renforcer ses pouvoirs de décision au niveau national. Depuis les dernières négociations à Bruxelles

l’Etat souhaite être co-organisateur de la mobilité en région. Si la région veut ouvrir une ligne à la concurrence, l’Etat pourra s’y opposer. Un signal fort de l’État qui illustre la volonté de la France de freiner l’ouverture à la concurrence des TER.

La France semblerait vouloir également faire une distinction entre les réseaux et les lignes à grande vitesse. Cela permettrait de faire valoir que seul le réseau à grande vitesse est susceptible d’être ouvert en open access. Comme tous les trains à grande vitesse empruntent aujourd’hui une partie du réseau classique, sur lequel circulent des trains relevant de services conventionnés, ce pourrait être un moyen de faire échec à l’ouverture à la concurrence des lignes à grande vitesse actuelle. Finalement, même l’open access pourrait ne pas avoir lieu en 2019 en France, alors qu’il sera obligatoire dans toute l’Union européenne. Je constate dans ce cas de figure, pour ceux qui en douteraient, que l’Etat joue pleinement son rôle de stratège, reste à savoir qui cela peut favoriser. Dans ce contexte, un régulateur fort est d’autant plus nécessaire. Il est donc impératif que les membres du collège soient indépendants et, je souhaite que le président qui me succédera soit une personnalité de consensus mais ayant aussi suffisamment d’autorité pour résister aux pressions d’une part des monopoles qu’il doit réguler, et d’autre part d’un Etat qui parfois peut se révéler schizophrène. D’autant que l’ARAFER doit avoir les moyens financiers et humains de ses ambitions. Avec un budget qui est écorné depuis 2010 – il est passé de 13,7 millions à 11 millions d’euros – l’ARAFER sera bientôt financièrement exsangue. J’entends bien négocier avant mon départ son augmentation afin de lui permettre d’assurer la bonne conduite de ses missions.

 

 

 

 

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